Echapper à un engagement de caution en invoquant son caractère disproportionné

Publié le : 17/04/2020 17 avril avr. 04 2020

Très souvent, pour ne pas dire systématiquement, le dirigeant d’une société est amené à se porter caution pour elle en contrepartie de l’octroi d’un crédit ou d’un découvert bancaire. Il prend ainsi l’engagement d’honorer personnellement les dettes (les échéances de prêt) de sa société au cas où elle serait défaillante, c’est-à-dire dans l’hypothèse où elle serait placée en redressement ou en liquidation judiciaires. Il engage donc son patrimoine privé, et parfois aussi celui qu’il détient en commun avec son conjoint.

Lorsqu’il est appelé en paiement par la banque parce que sa société est défaillante, le dirigeant dispose parfois d’un moyen d’échapper à son engagement de caution en invoquant le caractère disproportionné de celui-ci. En effet, la loi prévoit qu’un créancier professionnel, en particulier une banque, ne peut pas se prévaloir d’un cautionnement souscrit par une personne physique (par exemple, un dirigeant pour garantir un prêt contracté par sa société) dont l’engagement était, lorsqu’il a été pris, manifestement disproportionné à ses biens et à ses revenus. Sauf, précise-t-elle, si le patrimoine de cette personne (le dirigeant) lui permet, au moment où la banque lui demande de payer en lieu et place du débiteur (la société), de faire face à son obligation.

Mais comment est mesurée la disproportion d’un cautionnement ? Et comment s’apprécie la capacité du dirigeant à faire face à son obligation de caution au moment où la banque le sollicite ? Le Cabinet vous fait part de quelques éléments de réponse au regard de décisions de justice récentes.

Les revenus et le patrimoine à prendre en compte

  • Première précision : pour apprécier si le cautionnement souscrit par une personne mariée est disproportionné, faut-il tenir compte des biens et revenus de son conjoint ? La réponse est négative lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens. En effet, les juges ont rappelé, dans une décision du 24 mai 2018 (n° 16-23036), que la disproportion éventuelle du cautionnement souscrit par une personne mariée sous le régime de la séparation de biens s’apprécie au regard de ses seuls biens et revenus personnels.
Ainsi, dans cette affaire, la banque n’a pas été admise à faire valoir que l’engagement pris par le gérant d’une société en tant que caution, qui représentait 2 années et demie de ses revenus professionnels, était néanmoins proportionné à ses biens et revenus puisque son épouse, séparée de biens, percevait un revenu fixe et était propriétaire d’un bien immobilier, ce qui lui permettait de contribuer de manière substantielle aux charges de la vie courante et d’assurer le logement de la famille.

A l’inverse, lorsque les époux sont mariés sous le régime de la communauté, les biens communs du couple, et donc les revenus du conjoint, sont pris en considération pour apprécier le caractère disproportionné ou non du cautionnement souscrit par l’autre (arrêt du 15 novembre 2017, n° 16-10504).
  • Dans une autre affaire, la question s’est posée de savoir si, pour apprécier si le cautionnement d’un dirigeant de société était disproportionné, il fallait tenir compte des revenus que ce dernier tirait de la société au moment où il avait été souscrit. En l’espèce, le gérant d’une société, qui s’était porté caution pour elle, avait invoqué le caractère disproportionné de son engagement pour tenter d’échapper aux poursuites que la banque avait engagées contre lui lorsque sa société avait été mise en liquidation judiciaire. Selon ce gérant, pour apprécier si son engagement était disproportionné, il ne fallait pas prendre en compte les revenus qu’il percevait de l’activité de la société. Mais les juges (arrêt du 5 septembre 2018, n° 16-25185) n’ont pas été de cet avis : pour eux, les revenus réguliers perçus par le dirigeant jusqu’à la date de son engagement de caution doivent être pris en compte même s’ils proviennent de la société cautionnée.
Les juges ont rappelé qu’en revanche, les revenus espérés de l’opération garantie ne doivent pas être pris en compte pour apprécier le caractère disproportionné d’un engagement de caution.
  • Enfin, dans une autre affaire récemment jugée, le président d’une société s’était porté caution de celle-ci à hauteur de 260 000 € envers une banque qui lui avait consenti un prêt. Lorsque la société avait été placée en liquidation judiciaire, la banque avait réclamé le remboursement du prêt au président. Mais ce dernier avait refusé de s’exécuter car il estimait que son engagement de caution était disproportionné à ses biens et ses revenus.
La cour d’appel lui avait donné raison. Pour elle, l’engagement de ce dirigeant (260 000 €) était manifestement disproportionné puisqu’il était d’un montant pratiquement égal à son patrimoine (290 000 €) et que ses revenus mensuels (environ 5 580 €) étaient grevés du remboursement de deux prêts à hauteur de 3 080 € par mois.

Mais au contraire, la Cour de cassation (arrêt du 28 février 2018, n° 16-24841) a estimé que la disproportion manifeste du cautionnement aux biens et aux revenus du dirigeant au jour où il l’avait souscrit n’était pas établie. En effet, son patrimoine étant supérieur au montant de son cautionnement à ce moment-là, le dirigeant n’était pas dans l’impossibilité manifeste de faire face à son engagement.

La preuve de la disproportion

Précision importante : c’est à la caution d’apporter la preuve de la disproportion de son engagement.

C’est ce que les juges ont rappelé (arrêt du 13 septembre 2017, n° 15-20294) dans une affaire où la compagne du gérant d’une société s’était portée caution pour garantir les dettes de celle-ci à l’égard d’une banque dans la limite de 480 000 €. A la suite de la mise en liquidation judiciaire de la société, la banque avait appelé la caution en paiement. Cette dernière avait alors invoqué le caractère disproportionné de son engagement et reproché à la banque de ne pas l’avoir interrogée sur sa situation patrimoniale. Mais les juges ont validé le cautionnement. En effet, pour eux, le créancier professionnel n’a pas à vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement. Et c’est à cette dernière qu’il appartient de démontrer que son engagement de caution était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus. Ce qu’elle n’avait pas été en mesure de faire ici.

Précisons que dans cette affaire, pour apprécier l’existence et l’importance des biens et revenus de la caution au jour de son engagement, et en déduire que le cautionnement n’était pas manifestement disproportionné, les juges se sont fondés sur la fiche de renseignements remplie par le gérant de la société, également concubin de la caution.

Cautionnement disproportionné = décharge totale de la caution

Autre précision apportée récemment, les juges, dans un arrêt du 28 mars 2018 (n° 16-25651), ont affirmé que lorsque le cautionnement est disproportionné, la banque ne peut pas s’en prévaloir du tout, c’est-à-dire pas même en partie.

Dans cette affaire, une personne s’était portée caution du remboursement d’un prêt bancaire consenti à une société dans la limite de 495 000 € alors que son patrimoine était composé d’actions de SCI à hauteur de 500 000 €. Lorsqu’elle avait été appelée en paiement par la banque, elle avait invoqué le caractère manifestement disproportionné de son engagement de caution. Saisie du litige, la cour d’appel avait estimé que cet engagement apparaissait manifestement disproportionné « dans une certaine mesure » seulement et que l’intéressé devait en être déchargé dans une proportion d’environ la moitié du montant garanti, soit de 245 500 €.

Mais la Cour de cassation n’a pas été de cet avis. Pour elle, l’impossibilité pour la banque de se prévaloir d’un cautionnement manifestement disproportionné ne s’apprécie pas à la mesure de la disproportion. Autrement dit, lorsqu’un cautionnement est disproportionné, la banque ne peut pas demander à la personne qui s’est portée caution de rembourser partiellement le montant qu’elle s’était engagée à garantir. Cette dernière est totalement déchargée de son engagement.

La capacité à faire face à son obligation de caution : prise en compte de l’endettement global

S’agissant de l’appréciation de la capacité du dirigeant qui s’est porté caution pour son entreprise à faire face à son engagement lorsqu’il est appelé en paiement par la banque, les juges ont affirmé, dans une affaire récente (arrêt du 17 octobre 2018, n° 17-21857), que cette capacité s’apprécie en considération de son endettement global, y compris celui résultant d’autres engagements de caution qu’il a souscrits par ailleurs.

Dans cette affaire, le dirigeant d’une société s’était porté caution pour cette dernière auprès d’une banque en contrepartie de l’octroi d’un prêt. Lorsque la société avait été placée en liquidation judiciaire, la banque avait réclamé au dirigeant le paiement des sommes restées impayées (230 000 €). Ce dirigeant avait alors fait valoir son incapacité à faire face au cautionnement car un autre créancier lui réclamait également le paiement d’une certaine somme d’argent (125 000 €) au titre d’un autre cautionnement qu’il avait souscrit à l’égard de ce dernier. Et qu’il fallait en tenir compte pour apprécier son endettement. Les juges lui ont donné gain de cause.

On fera observer que par le passé, pour apprécier la capacité de la personne qui s’était portée caution à faire face au cautionnement au moment où le banquier lui demandait de payer, la Cour de cassation avait estimé, au contraire, qu’il ne fallait pas tenir compte des autres cautionnements qu’elle avait consentis et qui n’étaient pas appelés. Les juges viennent donc de changer de position.

Si, en tant que dirigeant de société, vous vous apprêtez à signer un engagement de caution ou si, en tant que caution d’une société en difficulté, votre banque vous réclame le paiement d’échéances impayées par cette dernière, n’hésitez pas à prendre conseil auprès de votre notaire.

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